Note d'Intention

Tout un volet de la vie de Molière reste encore aujourd’hui presque mystérieux. Lorsque l’Illustre Théâtre a été contraint, pour des problèmes financiers de cesser ses activités à Paris, les restes de la troupe, criblée de dettes, quitte Paris le 13 août 1645 et n’y reviendra que 13 ans plus tard, triomphante de ses succès, le 26 octobre 1658 pour jouer devant le Roi.

Mais que s’est-il passé durant ces 13 années ? Les passionnés de Molière ont cherché depuis le 19ème siècle à retrouver sa trace dans les études notariales et les registres paroissiaux et, à force de patience, ont déniché ici et là, quelques actes de mariages et de baptêmes, signés par Molière et ses comédiens. A partir de ces découvertes, nous avons aujourd’hui un peu plus de renseignements sur leur périple. Parmi les étapes connues il y a Pézenas, Narbonne, Albi, Carcassonne, Toulouse, Nantes, Poitiers, Bordeaux, Agen, Grenoble, Dijon, mais peu savent encore que Molière a, durant au moins six ans, vécu à Lyon. C’est à Lyon que la troupe avait décidé de s’installer les mois d’hiver et c’est à Lyon que Molière créa sa première pièce : «L’Etourdi ou les contretemps».

Cette création, semble avoir été représenté pour la première fois rue du Boeuf, dans l’actuel hôtel de la Tour Rose en février 1655. La troupe, qui depuis quelques années avait fusionné avec celle de Charles Dufresne, jouait pour les pauvres de la Charité, enregistrait des actes de mariages chez le notaire Thomazet ; Molière assistait comme témoin aux unions de ses acteurs, celle de René Du Parc dit «Gros René», avec Marquise de Gorla (la belle Marquise) à l’église Saint Croix (juxtaposant la Cathédrale Saint Jean) et aussi celle de Faulle Martin et d’Anne Reynier à Notre Dame de la Platière. Il porta aussi sur les fonds baptismaux, le petit Jean-Baptise Le Masson, aussi fils de comédien. Il était encore à Lyon le 27 février 1658, sept mois seulement avant de jouer dans la salle des gardes du Louvres, devant la famille royale au complet. Il ne quittera plus jamais Paris ou il travaille pendant les 15 dernières années de sa vie d’abord au Petit Bourbon puis au Palais Royal.

Mais encore une fois, que s’est-il passé durant ces 13 longues années ? Car il ne s’agit pas seulement de constater que le plus grand dramaturge français s’est promené en province et qu’il y a crée sa première pièce. Le plus important réside dans les conditions qui l’ont amenées à devenir le grand Molière. Les conditions de représentations, dans les années 1653 à 1658, étaient sans conteste plus confortables qu’à son départ de Paris. A Lyon, nous savons qu’il était ovationné, et qu’il parlait de «sa chère ville de Lyon» avec une grande tendresse. Le poète Dassoussy a laissé en témoignage, toute la générosité et la gaieté dont avait fait preuve la troupe envers lui, le nourrissant et l’hébergeant durant toute une année «pour rien», pour le plaisir de l’avoir à leur table. Joseph Béjart allait même lui porter de la nourriture à travers les barreaux de sa prison.

Comment se représenter la dureté du travail mais aussi la complicité des comédiens lorsqu’il fallait plaire à tout le monde pour pouvoir vivre. Car en ce temps, Molière et sa troupe vivaient déjà confortablement. Il n’y a pas eu la province pauvre et le Palais Royal dans l’aisance.

Molière a laissé une petite phrase qui résonne en témoin : «il n’y a qu’un seul art, celui de plaire». Molière avait 36 ans lorsqu’il a quitté Lyon. Joseph, Louis, Madeleine, Geneviève Bejart, René du Parc, Marquise, le couple De Brie, Pierre Reveillon avaient environ entre 25 et 35 ans. Ils ont vécu des années ensembles. La complicité qui naît d’une telle cohabitation est facile à deviner. Il suffit de regarder les comédiens d’aujourd’hui, lorsqu’ils partent dans l’aventure d’une création et dans ses tournées, pour imaginer la puissance des liens qui les unissaient.

En province, les troupes jouaient principalement des comédies. Les tragédies se représentaient à Paris. Succès et reconnaissance passaient par le rire. Et c’est par le rire plus tard, que le Roi octroya à Molière le Petit Bourbon. Lorsqu’en 1659, la troupe représente «Les Précieuses Ridicules», le Roi, dit-on, âgé d’à peine 21 ans, en a vu cinq représentations ou «il se tenait les côtés» de rire. Or le rire, pour le déclencher, nécessite des ressorts particuliers, tant dans la versification de l’Etourdi que dans la prose des Précieuses. Déclencher les rires, aujourd’hui comme au 17ème siècle, révèle d’une même approche.

Molière était avant tout un grand comédien. Nous en avons la certitude aujourd’hui, puisque ses plus grands détracteurs, que ce soit les comédiens de l’Hôtel de Bourgogne soutenus par les frères Corneille, Donneau de Visé, Boursault, qui ont écrit contre lui tant de critiques, parfois ordurières, contre ses pièces, n’ont jamais mis en doute son talent de grand comique. Ils ne pouvaient contenter leur haine que par des descriptions crasses de son physique. Car Molière a toujours été attaqué et il l’est encore aujourd’hui. L’impact puissant qu’il a laissé à l’humanité par son oeuvre et par sa vie, font de lui un héros éternel, dans le sens dramaturgique du terme, un héros auquel tout le monde peut s’identifier.

Or, si on parle de Molière aujourd’hui dans les écoles, les lycées et plus généralement à n’importe quel spectateur potentiel, une vague sensation d’ennui plane sur les représentations de ses oeuvres. Ce qui, il faut bien l’admettre, est totalement incompatible avec ce que lui-même défendait. Lee Strasberg disait «Je ne comprend pas pourquoi les acteurs français jouent Molière comme jouaient précisément les ennemis de Molière». C’est à dire dans un style plus ou moins déclamatoire et vide (dont il fait la description dans l’Impromptu de Versaille), au lieu de donner la vie et la vérité aux rôles par l’action et le «naturel» qu’il exigeait lui-même de ses comédiens.

Lorsque la Comédie Française, imposée par Louis XIV, sept ans après la mort de Molière, réuni dans son sein les comédiens de l’Hôtel Guénégaud (les survivants de la troupe de Molière) et de l’Hôtel de Bourgogne (les ennemis de Molière) ceux qui ont essayé de défendre son point de vue n’ont pas eu tout à fait la force du nombre pour l’imposer totalement. Certaines règles fondamentales exigées par «le patron» se sont perdues dans les siècles, laissant la place au formalisme et aux codes fixés depuis 330 ans et dont on a bien du mal à se débarrasser. Heureusement, ça et là, un peu partout, des troupes et des acteurs font de «la résistance», retrouvent dans les situations et les mots, les échos de la comédie, déclencheurs de rires. On y arrive. Et quand on y arrive, qu’on rit nous-mêmes en répétant, qu’on arrive à se débarrasser de la litanie ennuyeuse devenue comme une seconde peau collée sur les œuvres de Molière, quand on touche du doigt (et c’est difficile) l’étrange vérité qui résonne dans ses mots, dans ses actes, dans ses situations, quand on part en fous rires dès qu’on a trouvé, si on l’aimait déjà beaucoup, on l’aime encore davantage. Et donc le public aussi.

Joëlle Sevilla

Note d'Intention     Synopsis     Environnement
L'Etourdi ou les Contretemps

Cliquez sur les
personnages
Accueil Distribution Histoire Vidéos Photos Contact/Réservations